Mémoire original
Développement psycho-intellectuel des enfants drépanocytaires ayant reçu une allogreffe de cellules souches hématopoïétiquesDevelopment of psychological and intellectual performance in transplanted sickle cell disease patients: A prospective study from pretransplant period to 5 years after HSCT

https://doi.org/10.1016/j.arcped.2013.04.012Get rights and content

Résumé

Introduction

L’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques (HSCT) est le seul traitement curatif de la drépanocytose. Les enfants concernés peuvent présenter des difficultés neuropsychologiques avant greffe. L’objectif de cette étude était d’étudier l’évolution de leurs capacités psycho-intellectuelles avant et après transplantation.

Patients et méthodes

Étude longitudinale prospective de 1992 à 2006 chez tous les enfants greffés dans notre service. Évaluations réalisées par échelles de Wechsler comprenant 4 indices – compréhension verbale, raisonnement perceptif, mémoire de travail et vitesse de traitement (IVT) conduisant au calcul du quotient intellectuel (QI) global.

Résultats

Quinze enfants (8 filles, 7 garçons) ont été évalués avant, puis 36 et 60 mois après la greffe. Tous vivaient en France. Seuls 2 d’entre eux avaient eu un accident vasculaire cérébral (AVC) avant greffe. Les QI médians étaient de 87, 94 et 94 respectivement avant, 36 et 60 mois après la greffe.

Discussion

Avant greffe, le QI était dans la « moyenne basse ». Ce résultat pourrait être lié à la diminution de l’IVT liée aux AVC antérieurs. À 3 ans post-greffe, tous les indices sauf l’IVT avaient progressé. La diminution de l’IVT pourrait être liée aux AVC antérieurs et à la fréquente dépression observée après la phase aiguë de la greffe, lorsque la maladie est guérie. À 5 ans post-greffe, le QI médian était stable et l’IVT avait progressé.

Conclusion

À 5 ans de suivi, les enfants présentaient et exprimaient une amélioration de leur santé physique et de leur bien-être psychologique, leur permettant de construire des projets d’avenir et de manifester le désir de devenir adulte.

Summary

Rationale

Allogeneic hematopoietic stem-cell transplantation (HSCT) is the only curative treatment for sickle cell disease (SCD). Cerebral vasculopathy was the principal indication for transplantation. These children could present impaired neuropsychological development related to different causes, hence the value of exploring their intellectual capacities before and after transplantation.

Material and methods

Prospective longitudinal study from 1992 to 2006 in all transplanted SCD patients. The patients were assessed using Wechsler scales with four different indices: verbal comprehension, perceptual reasoning, working memory, and processing speed (PSI), providing a full-scale intellectual quotient (IQ).

Results

Fifteen SCD patients (8 females and 7 males; mean age, 8.9 years) were evaluated before and 36 and 60 months after transplantation. All were from Africa and lived in France. All patients except 2 had experienced ischemic stroke before HSCT. The median full-scale IQ was 87, 94, and 94 before transplantation and 36 months and 60 months after HSCT, respectively.

Discussion

At pre-HSCT evaluation, full-scale IQ was considered as “low average”. This relatively poor result could be related to impairment of PSI, which reflects frequent graphic and motor abnormalities related to the previous stroke experienced by almost all patients. At 3 years after HSCT, all indices including IQ had increased. Only the PSI had decreased, this observation being potentially related to previous stroke and to the depression frequently experienced by the transplant recipient patient after the acute phase, when the disease is cured. At 5 years after HSCT, the median full-scale IQ was stable and the PSI had increased.

Conclusion

At the end of follow-up, the patients improved their physical and psychological well-being. This allowed them to build projects for the future and to manifest the desire of becoming an adult. Bone marrow transplantation in this cohort of children with SCD and severe cerebral vasculopathy is associated with improved performance as measured by the Wechsler scale.

Introduction

La drépanocytose est une maladie autosomique récessive dont l’expressivité est très variable, allant de l’absence de symptômes à des tableaux très sévères. Elle associe une anémie hémolytique chronique due à la falciformation des hématies et une affection de l’endothélium. Dans les formes sévères, il s’agit d’une maladie fréquemment douloureuse au cours de laquelle peuvent s’exprimer des symptômes fonctionnels liés aux crises vaso-occlusives, aux épisodes de séquestrations spléniques et de syndrome thoracique aigu et aux accidents vasculaires cérébraux (AVC), notamment. Ces AVC peuvent être responsables d’un handicap physique mais aussi psycho-intellectuel [1], [2], [3], [4], [5], [6], [7], [8], [9], [10], [11], [12], [13], [14]. Le pronostic vital peut être engagé. Les enfants atteints d’une forme symptomatique de drépanocytose doivent réorganiser leur manière d’être au monde et parfois se figurer leur propre mort. À la gestion de la douleur s’ajoutent la fatigue et les hospitalisations qui impliquent un absenteïsme scolaire ayant un retentissement sur l’investissement de la scolarité qui peut aller jusqu’à un désintérêt des apprentissages. Cette maladie, comme de nombreuses affections chroniques apparaissant dès la petite enfance, interfère avec le développement physique mais aussi psycho-intellectuel et affectif de l’enfant atteint. L’anémie chronique, les hospitalisations fréquentes, la déscolarisation qu’elles induisent peuvent participer également à de moindres performances psycho-intellectuelles [15], [16], [17]. De leur côté, comme dans toute maladie génétique, les parents sont confrontés à une impossible réparation.

L’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques (HSCT) est la seule thérapeutique curative. Elle n’est actuellement utilisée qu’en situation géno-identique, c’est-à-dire lorsqu’il existe un donneur intrafamilial parfaitement compatible (le plus souvent un membre de la fratrie de l’enfant malade). L’aggravation du tableau clinique ou la mise en évidence de facteurs de risque de complications (notamment le diagnostic de vasculopathie cérébrale infra-clinique) doivent conduire à la proposition d’un projet de greffe. Bien que donnant d’excellents résultats dans cette affection, cette technique n’est pas dépourvue de risques et peut entraîner de lourdes séquelles, dont une stérilité. La greffe implique la fratrie et affecte voire bouleverse le fonctionnement familial. Elle peut constituer un choc traumatique qui scinde la vie du patient en un « avant » et un « après », directement lié à l’intrusion d’une réalité extérieure. Elle implique une hospitalisation longue et douloureuse, différente des hospitalisations antérieures qui consistaient essentiellement à soulager la douleur. De plus, elle constitue une irruption traumatique touchant au transgénérationnel, du fait du mode de transmission génétique de la maladie et de la fréquente stérilité induite par le conditionnement myélo-ablatif utilisé en pré-greffe.

En France, plus de 200 sujets drépanocytaires ont été greffés, constituant probablement la plus importante cohorte du monde. Notre travail rapporte l’évaluation prospective de l’évolution psycho-intellectuelle d’enfants drépanocytaires traités par la HSCT dans l’unité de greffe du service d’hématologie pédiatrique de l’hôpital Robert-Debré à Paris.

Section snippets

Patients et méthodes

Il s’agit d’une étude prospective menée de 1992 à 2006 auprès des enfants drépanocytaires S/S allogreffés. Des évaluations des performances psycho-intellectuelles par les échelles de Wechsler adaptées à l’âge de chaque sujet ont été menées de façon longitudinale, en pré-greffe puis à 3 et 5 ans de la transplantation. Ces échelles sont validées au niveau international. Pour les enfants de moins de 6 ans, nous avons utilisé le WPPSI-R (Wechsler preschool and primary scale of intelligence –

Résultats

Dix-huit enfants drépanocytaires S/S ont été greffés dans notre service entre 1992 et 2006. Trois enfants n’ont pu être inclus : l’un était décédé précocement durant la procédure de greffe, un second était trop jeune pour être évalué en pré-greffe et la famille du troisième a refusé de participer à cette étude. Quinze enfants et adolescents ont donc été inclus. Il s’agissait de 8 filles et 7 garçons, d’âge médian 8,8 ans (4,7 à 13,2 ans) lors de l’évaluation pré-greffe. Tous les enfants étaient

Discussion

La population étudiée ici partageait des caractéristiques communes la rendant globalement homogène : pathologie et ses conséquences, origine ethnique, milieu socioéconomique. Les enfants étaient, pour la majeure partie d’entre eux, issus de familles défavorisées aux plans socioéconomique et scolaire, et parfois peu compliantes. En limitant notre protocole à la passation d’une échelle de Wechsler, nous sommes parvenus à tester tous les enfants aux 3 temps prévus. Selon Mercer, « il est

Conclusion

Notre étude a permis de montrer objectivement qu’à 5 ans, les capacités psycho-intellectuelles des enfants drépanocytaires greffés sont nettement améliorées, exception faite de l’IVT – reflet des troubles praxiques – qui ne bénéficie pas de la greffe. Ces difficultés praxiques doivent être prises en charge très précocement dans le parcours de soins de ces enfants. Ceux-ci sont déstabilisés au moment de l’étape clé que constitue la réflexion les obligeant à un retour à eux-mêmes qui apparaît vers

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Remerciements

Le présent travail a été initié par le regretté Professeur Étienne Vilmer, chef du service d’hématologie pédiatrique de l’hôpital Robert-Debré depuis son ouverture en 1988 jusqu’à sa disparition prématurée en 2004. Que ses proches trouvent ici l’expression de toute notre gratitude. Le présent travail a aussi fait l’objet d’une communication orale lors du congrès de la Société américaine d’hématologie (Nouvelle Orléans, LA, États-Unis, décembre 2009).

Références (29)

  • P.L. Kavanagh et al.

    Management of children with sickle cell disease: a comprehensive review of the literature

    Pediatrics

    (2011)
  • Santé Had. Syndromes drépanocytaires majeurs de l’enfant et de l’adolescent 2010. Disponible sur :...
  • S. Verlhac et al.

    Doppler transcrânien chez l’enfant drépanocytaire

    J Radiol

    (2003)
  • S. Verlhac et al.

    Detection of cerebrovascular disease in patients with sickle cell disease using transcranial Doppler sonography: correlation with MRI, MRA and conventional angiography

    Pediatr Radiol

    (1995)
  • Cited by (0)

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